De l'autre côté de la mer
je sais qu'il me faudra partir
De l'autre côté de la mer
J'entends l'appel de vos soupirs
Qui m'obsède et me désespère
Il y a trop longtemps que je traîne
Ce mal que vous m'avez donné
Cette mélancolie quotidienne
Il faudra bien m'en séparer
J'irai dans cette ville sombre
Qui vous a déjà oubliée
Je chercherai parmis les ombres
Les traces de votre passé
Je marcherai devant les portes
Des maisons que vous habitiez
Je verrai la longue cohorte
De vos regards hallucinés
Il y aura dans le vent d'été
Vos plaintes et vos gémissements
vous m'avez toujours tourmenté
Je connais cet envoûtement
Je viens pour vos âmes errantes
Vous mes fantômes abandonnés
Votre solitude me hante
Je ne peux pas vous oublier
Je viens pour un enterrement
Je suis seul sans fleurs ni couronnes
Je vous dirai tout simplement
Savez vous comment je me nomme
Mon nom chante avec vos rivières
Mon nom ressemble à ce pays
Je viens sans haine et sans colère
Demain je serai loin d'ici
Ce deuil dure depuis trop longtemps
Vous n'avez pas de cimetière
Reposez en moi maintenant
Vos racines n'ont plus de frontières
Il n'y aura pas de chant funèbre
Ni plainte, ni larmes versées
Je sortirai de ces ténèbres
Au grand jour enfin délivré
Je vous dirai que vos enfants
Vivent librement dans la lumière
Reposez en paix maintenant
Ma mémoire sera votre terre
Et vous cesserez vos soupirs
Je n'entendrai plus vos prières
Alors je pourrai repartir
De l'autre côté de la mer
Anatolienne
C'est une musique anatolienne
Mélancolie qui coule en toi
Kurde ottomane et arménienne
Un peu persane tout à la fois
Sur un kémantcha, sur un saz
De la Mer Noire à la Caspienne
On l'a jouée au bal des Lazes
Chrétienne musulmane ou païenne
Elle parle des hommes de cette terre
Doux et cruels tout comme toi
Un jour amis comme des frères
Un jour ennemis par la foi
On l'a jetée dans la poussière
Sur les chemins un jour d'Avril
On l'a noyée dans la rivière
Rouge de sang indélébile
Loin de sa terre, de ses campagnes
Loin des villages abandonnés
Elle a traversé les montagnes
Elle est venue te retrouver
Musiciens chanteurs sans visage
Leurs âmes mortes t'ont laissé
Cet air venu du fond des âges
Qui ne te quittera jamais
Une musique anatolienne
Mélancolie qui coule en toi
Aujourd'hui seule et arménienne
Douce et cruelle tout à la fois
Elle reste là
Elle reste là, à les attendre
Dans le jardin abandonné
Sous les lilas l'air est plus tendre
On se sent bien, comme apaisé
Elle reste là seule et sans armes
Elle ne veut pas verser de larmes
Des bruits de pas, bientôt la haine
Elle se tiendra comme une reine
Elle reste là, là c'est sa terre
Elle voudrait bien se reposer
Se coucher là, dessous la pierre
Avec ceux qu'elle a tant aimés
Pourquoi partir, pourquoi s'enfuir
Elle ne veut pas d'autre avenir
Elle reste là, là c'est terre
Cette fois c'est sa dernière guerre
Elle est déjà comme la poussière
Qu'elle fait glisser entre ses doigts
Elle tombera en pleine lumière
sans témoins, qui s'en souviendra
Peut-être l'eau de la rivière
Peut-être le vent dans les bois
Elle reste là, là c'est sa terre
Personne au monde ne l'empêchera
de rester là...

Du côté d'Erzeroum
Deux vieux passeports
A l'étoile et au croissant mêlés
D'Asie Mineure
C'est tout ce qu'ils t'ont rapporté
Movsès et Loussine
Visages en sépia qui s'effacent
Le passé en ruine
Ne veut plus te laisser de traces
Du côté d'Erzeroum
Tu es né ici
Mais ta mémoire vient d'ailleurs
D'un coin d'Arménie
Qu'on t'a poignardé dans le coeur
Les rondes enfantines
Que tu as chanté à l'école
Mêlaient leurs racines
Aux sources qui coulaient du Bingoël
Du côté d'Erzeroum
Et tu passes ta vie
A rêver d'un pays
D'une ville, d'une rue
Que tu n'as jamais vus
Et tu cherches partout
Cette image un peu floue
Maïrig raconte moi
Comment c'était là-bas
Erzeroum...
Tu cherches une église
Perdue au milieu des mosquées
Dans la neige grise
Derrière l'écran des peupliers
Les yeux sur une carte
Ils sont des millions comme toi
Que l'histoire écarte
Et qui laissent traîner leurs doigts
Du côté d'Erzeroum
De Mouch et de Sassoun
Du côté d'Erzingan
De Sevas et de Van
Massis , Ararat
Malatya et Yozghat
Kars, Ani, Kharpet, Adana
Marach, Mardin, Ourfa , Guiliguia
Bitlis, Adana... Ardahan, Akhtamar
Connais-tu cette ville
Connais-tu cette ville
Méditerrannéenne
Ses rues blanches si tranquilles
Ses jardins, ses fontaines
Ses terrasses de café
Ses violons tziganes
Ses rendez-vous l'été
Le soir sous les platanes
Connais-tu cette ville ?
C'est une ville séfarade
Maghrébine, arménienne
C'est le bleu de l'illiade
La douceur vénitienne
Les gens qui vivent ici
Me prennent par le bras
Ne craint rien de la vie
Ici tu es chez toi
Connais-tu cette ville ?
Elle survivra à toutes les guerres
Aux hordes et aux armées barbares
Je la défendrai pierre par pierre
Je veille seul sur ses remparts
C'est la ville de mon père
La ville de mes enfants
C'est la ville de nos frères
D'orient et d'occident
Je sais la retrouver
En fermant les paupières
Ma mémoire apaisée
Baignant dans sa lumière
Connais-tu cette ville ?
Photos
J'ai trouvé ces photos
Un jour par hasard
Sous une pile de journaux
Sur un coin de trottoir
Elles étaient là, venues de nulle part
Sans nom, sans mémoire
Qu'ils avaient l'air perdus
Sur ce pauvre étalage
Ces regards inconnus
Ces sourires, ces visages
Souvenirs inutiles égarés
Que s'est-il passé ?
Photos d'un mariage
Une noce en plein air
Ceux qui me dévisagent
En me tendant leur verre
Que sont-ils devenus
Depuis ce jour heureux
Qui peut se souvenir encore d'eux
J'entends les voix les rires
Les mots échangés
Les chansons les soupirs
Tous les airs oubliés
Et je lève mon verre à la santé
De la mariée
Que reste-t-il de tous
Ces moments disparus
Qu'en sera-t-il de nous
Quand nous ne serons plus
Qu'une photo retrouvée par hasard
Au fond d'un tiroir
Les hommes se disent adieu
Et glissent dans la nuit
En laissant derrière eux
Leurs rêves inassouvis
Le poids de leur silence
Leurs désirs envolés
Une soif qu'on ne peut apaiser
Tant qu'il nous reste encore
Le temps de vivre ensemble
La chaleur de nos corps
Les nuits qui nous assemblent
Nous ferons le voyage
Sans penser au naufrage
Le temps de dire merci à la vie
Shéhérazade
De la fenêtre du harem
Du haut de son petit sixième
Ses yeux s'attardent sur le bosphore
De sa réalité quotidienne
Le soleil a fait un effort
Et par dessus les HLM
Daigne prêter à son décor
Sa présence méditerrannéenne
Shéhérazade de banlieue
Dans la fumée d'une gitane
Tu rejoins tes soeurs ottomanes
Quelquefois en fermant les yeux
Shéhérazade de fortune
Tu connais l'art des lassitudes
A l'usage de tes solitudes
Dans ton palais aux murs creux
Shéhérazade de faubourg
Princesse de mille et un jours
De transistor en magazines
Et de feuilletons en cuisine
Shéhérazade en instance
A Charleville ou à Byzance
C'est bien la même indifférence
Qu'on peut lire au fond de tes yeux
Il souffle un vent de Dardanelles
Un mardi c'est exceptionnel
Sur la zone industrielle
Et la vague de tes cheveux
Encore une tasse de thé
Voici le pont de Galatée
C'est l'appel de la Corne d'Or
Et la fin de la journée
Terre d'Asie
C'est le dernier rivage
Au bout de l'océan
La promesse des mirages
Sous le soleil levant
C'est un sourire tranquille
Au miroir des rizières
C'est le temps qui défile
Aujourd'hui comme hier
Terre d'Asie
La couleur du safran
Près d'un temple endormi
Les bonzes indifférents
Au soleil de midi
Les parfums qui semêlent
A la vie à la mort
Un goût de citronnelle
De mangue et de bonheur
Terre d'Asie
Un peu de mon âme
Au royaume du Siam
Une femme en sarong
Au bord du Mékong
Des grappes d'enfants
Qui plongent en riant
Une paix ancienne
Frontière laotienne
A la saison des pluies
Comme les grands nuages
Je reviendrai aussi
Pour la fin du voyage